Produits au cannabidiol il faut sortir du flou !

Étiquetage, allégations, composition : «60» a scruté des produits à base d’un dérivé du chanvre, le cannabidiol. Pas de scandale sur ce qui est, à tort, assimilé à du cannabis légal, mais l’actuelle carence réglementaire ne garantit ni qualité ni sécurité.

Des produits au cannabidiol, ou CBD, il y en a pour tous les goûts : sucettes, tisanes, huiles, gélules, fleurs, résines, e-liquides… et mêmecrèmes et baumes ! Faciles à trouver, en ligne comme en boutique, et à des prix de plus en plus accessibles, ils constituent encore un marché de niche. Mais en plein essor, et qui pourrait représenter 1milliard d’euros quand il sera réglementé et arrivé à maturité, selon le Syndicat professionnel du chanvre.

Surnommé à tort le « cannabis légal », le CBD n’a pas d’effets psychoactifs et ne dérive d’ailleurs pas de la même variété de chanvre que le cannabis “récréatif”. Il n’entraîne pas de
dépendance et n’est pas considéré comme un stupéfiant, à la différence du tétrahydrocannabinol (THC). D’après l’Organisation mondiale de la santé, il est en général bien toléré, avec un bon profil d’innocuité. Dans plusieurs pays, dont la France, il est utilisé à dose thérapeutique dans des médicaments : contre les convulsions chez certains patients
épileptiques, les contractions musculaires chez les personnes atteintes de sclérose en plaques ou la douleur chez des patients cancéreux. Mais il est surtout promu aujourd’hui
comme un produit de bien-être, capable de calmer le stress, l’angoisse, d’améliorer le sommeil…

Top ou Flop ? Ça depend

 ” Le cannabidiol est un produit tendance, sans doute un peu survendu “
admet Aurélien Bernard, fondateur

Pas de promesses (trop) ambiguës

La plupart des marques de notre panel se positionnent sur des allégations bienêtre (les allégations santé ne sont pas autorisées). Si une marque, Nordic Oil, possède des crèmes anti-acné, anti-psoriasis, anti-eczéma à base de CBD, elles ont le statut de
dispositif médical.

Cependant, sur certains sites commerciaux, on retrouve des discours ambigus, à la fois sur la distinction entre chanvre et cannabis, et sur les effets à attendre du CBD. Green House présente ainsi le CBD comme une aide au sevrage du THC, ou pour trouver le sommeil sans somnifère, et capable de diminuer douleurs et inflammations.

• De plus, le dessin de la feuille persiste sur certains produits.

Les résultats de notre essai

Les tests réalisés
par notre centre d'éssais comparatifs

Vingt-huit produits à base de CBD disponibles sur le marché français, en boutique ou sur Internet, ont été sélectionnés et analysés en laboratoire par chromatographie liquide. Le taux de THC et de son précurseur, le THCA, a été mesuré. La conformité du taux de CBD avec celui affiché a été vérifiée.

Du média spécialisé Newsweed et de l’agence de conseil Augur Associates. Je ne suis pas sûr qu’avec un mascara au CBD les cils soient vraiment plus détendus, mais pour d’autres produits, il y a des effets reconnus. »

Souvent présenté comme une alternative douce au cannabis et à l’effet du THC, le cannabidiol est perçu de façon très variable. Pour Pierre, violoniste, c’est une révolution. « Il y a incontestablement un effet relaxant, sans perte de contrôle. Et contrairement au cannabis, cela me procure un bon sommeil sans m’ôter les rêves. » Pour Sonia, étudiante, c’est un flop. « Je suis du genre stressée et j’ai souvent de fortes douleurs au moment des règles J’ai essayé la tisane au CBD, puis une huile… Et c’est simple : ça ne me fait aucun effet. » de fleurs ou présentant des traces de THC sont vendus en France.

Un marché encore trop peu encadré

Résultat de la dose consommée, de la voie d’administration, de la génétique, ou effet placebo ? «60» n’a pas évalué la performance des produits et ne répondra pas à ces questions. Mais en partenariat avec la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), nous avons étudié ce qu’affichent et promettent 28 produits. Conformité avec la composition, avec la réglementation, informations délivrées aux consommateurs : les analyses montrent les travers d’un marché évoluant en zone grise.

Le cannabidiol dans l’alimentaire : un verdict attendu au niveau européen

• La Commission européenne a classé le cannabidiol comme novel food
(“nouvel aliment”) car sa consommation est considérée comme négligeable
ou inexistante dans l’Union avant 1997.

• Ce statut implique qu’il soit évalué par l’Autorité européenne de sécurité
des aliments (Efsa) avant de pouvoir être ajouté à la liste des ingrédients
autorisés dans l’alimentation. Le verdict de l’Efsa est attendu pour connaître
le sort des huiles et compléments alimentaires. Celui affiché a été vérifiée.

La France contrainte de s'aligner

En Europe, les produits à base de CBD doivent exclusivement provenir des variétés de la plante Cannabis sativa L. (chanvre agricole) contenant moins de 0,2 % de THC (une hausse
à 0,3 % est en cours de discussion). Ce taux ne concerne que la plante, mais il est appliqué par défaut aux produits finis, quels qu’ils soient. Dans notre sélection de 28 produits
à base de CBD, certains mettent ainsi en avant leur taux de THC « inférieur à 0,2 % », d’autres à « 0 % », et d’autres encore affichent « sans THC (taux inférieur à 0,2 %) »

Pourquoi ces deux seuils ? Parce que la France, elle, n’autorise pas les produits où du THC est détectable. Ni ceux issus de l’utilisation des feuilles et des fleurs. Sa ligne rouge, c’est la confusion avec le cannabis “récréatif”. Mais, comme l’a clarifié le 19 novembre 2020 la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avec l’arrêt Kanavape, ces restrictions sont en contradiction avec la libre circulation des biens en Europe et le fait que le droit européen l’emporte sur toute disposition contraire du droit national, sauf s’il existe un motif légitime de s’y opposer, par exemple un risque pour la santé publique. La CJUE estime ce risque inexistant dans l’état actuel des connaissances. Résultat : des produits provenant de l’utilisation de fleurs ou présentant des traces de THC sont vendus en France.

Un seul produit épinglé sur le THC

Pour rassurer les consommateurs – qui ont de quoi être perdus –,
les marques n’hésitent pas à user de mentions du type « 100 % légal », alors que jusqu’à l’arrêt Kanavape cela n’avait rien d’évident. Et pour se rassurer, fabricants et vendeurs s’entourent d’avocats avant de se lancer sur ce marché, certes prometteur, mais périlleux.

Les résultats de notre essai

Bon à savoir

Un produit dit “full spectrum” contient le profil (ou spectre) complet des cannabinoïdes présents dans la plante : le CBD, et son précurseur le CBDA, le cannabigerol (CCBG),
le THC, etc.

« Le plus grand risque, c’est que quelqu’un arrive et fasse n’importe quoi, avec des produits bourrés de THC », confi e Aurélien Bernard, sans cacher son inquiétude sur les résultats de l’analyse de «60». Mais celle-ci ne révèle aucun scandale. Un seul des neuf produits contenant des traces de THC présente un taux supérieur à 0,2 % : la fl eur Strawberry de La Ferme du CBD, qui atteint 0,35 %. Ce taux est trop faible pour que le THC ait un effet psychoactif, mais un test salivaire juste après consommation pourrait se révéler positif. 

Le fabricant affirme qu’il s’agit d’une erreur, et on serait presque prêt à le croire : le THC est ce que les producteurs surveillent le plus, car c’est bien la seule donnée réglementée et contrôlée ! Côté CBD, il n’y a pas de règles et les résultats s’en ressentent.

Des taux fiables ou non affichés

Dans les cosmétiques – auxquels le CBD est supposé apporter ses propriétés antioxydantes, hydratantes, régénérantes… –, les quantités paraissent faibles, compte tenu des prix. La crème MyCBD, qui se dit « riche en CBD », en contient 0,25 % ; celle « à haute concentration » de
Hemps Pharma en renferme, d’après nos analyses, 0,80 %. Quant à la crème Trompetol, son fabricant n’annonce pas de teneur en CBD, contrairement à des sites marchands qui la
commercialisent, et aucun cannabinoïde n’y est détecté ! La marque Lanvia, elle, indique comme ingrédient l’extrait de Cannabis sativa à 1 %, ce qui ne dit rien sur le taux de CBD. Il y en a probablement peu, car seuls les extraits de feuilles et graines sont autorisés en cosmétique et ils contiennent peu de CBD…

Bref : l’étiquetage est léger et, quand le taux est affiché, il n’est pas toujours fi able. Le taux mesuré est supérieur à celui annoncé dans toutes les huiles testées sauf une, et dans tous
les e-liquides sauf un – surprenant, étant donné le coût de la molécule. À l’inverse, il est jusqu’à deux fois inférieur dans certaines fl eurs, résines etthés ! De quoi décevoir un acheteur qui aura déboursé 225 € pour 25 g de fleurs de CBD en pensant la concentration deux fois plus élevée ! Cependant, parfois, la différence est liée à une ambiguïté : certains fabricants parlent de « CBD » pour évoquer tous les cannabinoïdes. C’est le cas de Plant of Life avec sa résine, étiquetée à 22 % de CBD alors que l’analyse qui figure au dos indique qu’il s’agit de la somme de plusieurs substances (CBD, CBDA, CBDV). C’est ce qui expliquerait l’écart du taux de CBD dans l’e-liquide Full Spectrum de Nature & CBD, d’après le fabricant.

Du complément au médicament

QUID des dos maximales ?

Le consommateur ne sait pas non plus ce qu’il est susceptible d’absorber. Prenons le thé : pour le Plant of Life, il est écrit « 2,5% à 3% de CBD ». Si c’est dans la matière sèche, quel
pourcentage en attendre dans l’infusion ? D’autant que l’emballage ne précise pas que, pour extraire le CBD, il faut ajouter un corps gras (lait entier, lait de coco). Pire, rien n’est dit sur les doses à ne pas dépasser. Quand il s’agit de choisir le dosage (10 %, 20 %, 30 %…), chaque boutique y va de son conseil.

Le consommateur ne sait pas non plus ce qu’il est susceptible d’absorber. Prenons le thé : pour le Plant of Life, il est écrit « 2,5% à 3% de CBD ». Si c’est dans la matière sèche, quel
pourcentage en attendre dans l’infusion ? D’autant que l’emballage ne précise pas que, pour extraire le CBD, il faut ajouter un corps gras (lait entier, lait de coco). Pire, rien n’est dit sur les doses à ne pas dépasser. Quand il s’agit de choisir le dosage (10 %, 20 %, 30 %…), chaque boutique y va de son conseil.

Mais quid de la dose recommandée ? Si elle est indiquée pour l’huile Sensi Seeds (30 mg), d’autres marques, comme Hippocrate, conseillentd’augmenter la quantité par palier selon le ressenti, sans préciser de limite. Or la dose toxique pourrait être atteinte avant la dose efficace. De son côté, Nordic Oil mentionne un maximum à ne pas dépasser (50mg/jour sur l’huile à 5 %), sans préciser la durée. Mais la dose toxique pourrait être inférieure en cas de consommation quotidienne à l’année.

Enfin, rien n’impose non plus d’alerter sur le risque de somnolence au volant, d’indiquer les risques d’interactions médicamenteuses – qui existent pourtant avec des antiépileptiques, anticoagulants, etc. –, ni les mises en garde pour les femmes enceintes et allaitantes, ou en cas d’insuffisance hépatique. Les e-liquides sont les produits qui affichent le plus de mises en garde et orientent vers les centres antipoison. Mais le développement de ce nouveau marché implique de mettre en place une vigilance spécifique. Le plus utile serait que sur chaque produit au CBD figure une incitation à déclarer tout événement indésirable, même non grave, sur le site Signalement.socialsante.gouv.fr. Le flou réglementaire actuel présente des risques pour la santé des consommateurs mais aussi pour la qualité des produits. Le Syndicat professionnel du chanvre en est conscient et le déplore. Par exemple, le contrôle de la présence de métaux lourds ou de pesticides n’est pas obligatoire. Pour les fleurs de CBD, qui représentent 85 % du marché du cannabidiol, « le principal risque est de se retrouver avec des produits contaminés », admet Aurélien Bernard. En effet, le chanvre est une plante qui tend à concentrer les polluants. Or, si des produits présentent des allégations comme « huile bio », « sans résidus de pesticides », « 5 métaux testés », etc., celles-ci reposent rarement sur une certification.

Assurer transparence et traçabilité

La France étant contrainte par l’arrêt Kanavape à accepter tous les produits légalement fabriqués dans l’UE, l’arrivée de marchandises en provenance de pays européens moins exigeants sur la qualité et la sécurité est à craindre. Pour faire front, « il faut une réglementation claire sur le produit fini, estime Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre, qui fixe des obligations d’étiquetage, assure une transparence complète et une traçabilité des produits et qui soit cohérente et ne valorise pas, par
exemple, le CBD synthétique au détriment de celui issu du chanvre. » Afin que les consommateurs soient correctement protégés et informés, la réglementation devra s’adapter à chaque type de produits, en tenant compte de leurs propriétés et modes de consommation spécifiques. Y compris les usages détournés, en veillant, par exemple à informer que le sachet de thé ne peut être fumé… Le chantier est énorme, mais nécessaire.•

À retenir

  • Le cannabidiol (CBD) est un cannabinoïde dérivé du chanvre, sans
    propriétés psychoactives, contrairement au tétrahydrocannabinol (THC).

  •  Il est présent dans des produits destinés à être ingérés, fumés, vapotés
    ou à être appliqués sur la peau, sans que son taux soit réglementé.Seul celui de THC doit être inférieur à 0,2 % dans la plante, sansdistinction suivant les produits et leurs usages.

  •  Le CBD peut être présent dans des produits de bien-être aux mêmes
    concentrations que dans des médicaments, mais sans être soumis aux
    mêmes contrôles et obligations d’étiquetage.

  •  Les produits à base de CBD sont susceptibles d’être
    contaminés par des pesticides et métaux lourds dont
    le contrôle n’est pas obligatoire.

  • La réglementation française, en cours de révision,doit désormais assurer la protection et l’informationdes consommateurs. Elle devra s’appuyer surdes normes précisant les méthodes de tests et l’étiquetage de ces produits.